La nasse.
Je les ai vu l’autre soir au club house. En plus de les voir, je les ai regardés et ils m’ont fait de la peine. Ils étaient là, assis les uns à côté des autres, les yeux rivés sur leurs portables, les écouteurs branchés, et ils attendaient. Ils attendaient l’heure du départ du bus pour rentrer chez eux. Pour une histoire d’amplitude horaire, il fallait qu’ils attendent encore une heure ou deux. Ils avaient pris leur repas chaud offert par le club qui les recevait, bu peut-être un ou deux verres de vin rouge qui accompagnaient l’assiette, et une fois alimentés, ils n’avaient plus qu’à attendre en silence. D’autres buvaient des bières au comptoir entre coéquipiers ou entre adversaires. Certains se retrouvaient après avoir certainement joués ensemble dans un centre de formation d’une équipe professionnelle. Ils se rappelaient leur jeunesse et prenaient des nouvelles d’autres anciens pensionnaires. D’autres encore, refaisaient le match. C’était cool, l’ambiance était bonne. Les nôtres préparaient les assiettes de charcuterie-fromage qui permettent d’alimenter un peu la caisse des joueurs. C’était un samedi soir et tout était réuni pour une bonne troisième mi-temps.
Et eux, ils attendaient en silence, sans rien dire. « On savait pas, on n’a pas amené de liquide. » Pas de sous, pas de bières, pas de fêtes. OK, si c’est comme ça que vous voyez les choses, c’est bien triste. Leurs co-équipiers n’avaient pas l’air plus offusqués que ça. C’était même à se demander s’ils n’étaient pas plus collègues de travail que co-équipiers.
C’était flagrant. Dans la même équipe t’avais ceux qui jouaient pour leur club, leurs couleurs et qui voyaient encore le rugby comme un sport à trois mi-temps et dans lequel, il n’était certainement pas question d’éviter la troisième. Et d’un autre côté, t’avais ceux pour qui le rugby est la seule façon qu’ils aient trouvé pour gagner leur vie et nourrir leur famille. Ceux-là, devaient compter au sou prés pour pouvoir vivre de ce sport. Drôle d’ambiance. Drôle de façon de voir la vie. Drôle de rugby que cette Fédérale 2.
Evidemment que dans une équipe, l’étudiant ne pourra pas suivre le train de vie du chef d’entreprise, et que le jeune tout frais qui débarque en séniors n’aura pas les mêmes moyens qu’un ancien bien installé dans la vie.
Alors on fait une nasse. Chez nous on appelle ça une nasse. Un chapeau, un seau à glaçon et chacun met ce qu’il peut et ce que bon lui semble. Et si tu peux pas, si t’as pas les moyens, c’est pas grave, tu mettras quand tu les auras. On commande au comptoir, et le serveur se sert dans la nasse. De toute façon, à la fin, il en reste toujours trop. Certains boivent comme des trous pour 20 euros. D’autres boivent un demi pour 20 euros aussi. Mais ça non plus c’est pas grave. L’important c’est de participer à la fête, d’être avec le groupe, de créer quelque chose de cohérent, qui fait que le dimanche d’après, tu recommences, et t’as envie de te peler pour ton pote..
Et les autres, ceux qui attendaient assis en pianotant sur leurs portables, ils font comment quand ils jouent à domicile ?
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Dernière modification par rUSIgby (23/01/2019 11:03:35)