ai atterri dans le rugby par hasard. Avant l'age de 14 ans, je ne savais absolument rien à propos de ce sport qui allait devenir ma passion, une école de vie et d'amitié, une forge où se forme le courage, la solidarité, la discipline, à force de sueur et d'efforts péniblement joyeux. Les gens autour de moi dans les cafés,entre mecs autour d'une théière ou un couscous, parlaient de foot,souvent,et parfois de basket ou d'athlétisme, le rugby était un fantome violent, pratiquer par des brutes qui faisaient peur-,trop musclés pour ressembler au commun des mortels- ;avec des poteaux trop hauts et un ballon bizarre, déformé,qui faisait rire les uns et ouvrir grand les yeux des autres. Le sport au maroc, est un sacrifice, un contrat qu'on signe avec son sang et ses tripes, un dévouement qui ne doit pas douter, un attachement qui doit lutter en permanence contre le manque de moyens, l'absence flagrante d'infrastructure et de reconnaissance, le mépris à peine dissimulé des instances sportives et des arrivistes de tous bords. On doit vraiment aimer ce qu'on fait pour continuer à le faire, apprendre la patience et accepter avec abnégation les dépenses, pour le seul et unique plaisir de porter un maillot, défendre ces couleurs et donner le meilleur de soi avec une sobrièté désintéressée. À la télé, les matches se déroulent sur des pelouses magnifiques, des surfaces vertes qui incitent les jambes à courir, les corps à plonger et se rouler dans la fraicheur tels des enfants insouciants. Le côté pratique de cette verdure bien entretenu est d'amortir les chutes et éviter qu'un faux mouvement ou un geste déloyale se transforme en méchante blessure. Mais nous, pauvres rugbymen marocains, ou du moins la majorité, on voyait ça à la télé seulement. Là où j'ai appris le rugby, il n'y avait pas de gazon ! L'herbe refusait obstinément de pousser, elle était en grève générale permanente malgré nos implorations et nos plaintes. Il y avait la terre, de la poussière rouge, quelques cailloux parsemés par ci et par là qui ne disparaissent jamais. Et c'était tout ! Amortir les chutes dans un sport de contact et de combat ? Pas besoin, pas de chichi quand on veut pratiquer un sport d'Homme ! Courir avec des crampons sur une surface dure et risquer de léser ses os et ses ligaments ? Normale, on n'est pas en europe ! Boit du lait et ça ira mieux ! Si mes coudes et mes genoux parlaient, ils vous diraient leur calvaire, les écorchures permanentes, la peau qui se détache et se recolle comme du papier peint, les hectolitres de bétadine et d'alcool qu'ils ont absorbé pour se réparer et garder un semblant de fierté ! Si les joueurs normaux jouent avec un maillot, un short et des chaussettes, nous, pour éviter que nos membres trop exposés aux chutes nous traduisent devant des tribunaux, on s'habillait comme des plongeurs, une sorte de niqab sportif collant qui ne laissait paraître que nos mains et nos tetes. Ainsi, on installait un cesser le feu avec nos articulations pour espérer persévérer dans cette discipline exigeante et jalouse ! Il nous a fallu attendre des années avant d'avoir des vestiaires ! Avec nos quelques affaires on se changeait sous l'oeil moqueur du ciel et de quelques badauds comtemplateurs de ce spectacle imprévu! On ramassait nos affaires dans un coin du terrain tout en restant vigilant pour débusquer les éventuels voleurs, qui ne manquaient pas ! À la fin de l'entrainement, on rentrait chez nous avec nos odeurs et la poussière qui a colonisée nos narines et nos ongles, les plus téméraires faisaient la queue autour d'un tuyau d'arrosage collé péniblement à robinet rouillé, avec un débit d'eau digne des années 20. ils ne craignaient pas le froid, et à force, leur système immunitaire à développer une incroyable résistance à toutes les espèces de rhumes et de grippes, le sport au maroc a parfois des côtés bénéfiques qu'on ne soupçonne jamais ! À suivre...